Coordonnées sentimentales

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48° 34’ 42’’ N
78° 07’ 12’’ O

Il y a 10 ans, je me tenais exactement là, à cet endroit précis. Debout sur les roches, au-dessus des rapides de l’Harricana qui se déchaînaient, sous un ciel étoilé, avec une douce brise de fin d’été.

Le coeur en miettes, la tête trop pleine, les larmes aux yeux.

Tout le monde me disait que c’est dont beau Amos, c’est dont tranquille Amos pis c’est dont le «fun» Amos. Mais, moi j’haïssais ça. Je trouvais ça laid. Laid à en mourir, laid à m’en «pitcher» dans les rapides.

C’était trop petit. Je voyais toujours le même monde, le monde qui m’aime pas, pis que je n’aime pas non plus. Toujours les mêmes places, celles qui me rappellent ma peine. Mon école secondaire actuelle où j’étais rejetée, mon école primaire où on m’a poussé du haut d’un module de jeux pis «slapshoter» des rondelles dans la face, le centre d’achats où les filles belles pis populaires s’achetaient leurs linges à la mode que je ne pouvais pas me payer. L’ancien loyer de mon père, qui faisait remonter le sentiment d’abandon que j’ai senti quand il m’a dit : «Je redéménage dans le coin de Montréal.».

Je ne voulais plus être là, je ne voulais plus être nul part. Mais, je suis restée quand même, figée au bord de l’eau, avec une seule pensée: je vais sacrer mon camp d’icitte pis je ne remettrai plus jamais les pieds en Abitibi…

10 ans plus tard, je me tiens debout, à cet endroit précis. Ça fait 5 ans que je suis revenue. De retour d’une expédition de 3 ans dans la belle Capitale. Des études, des partys, des amis, des découvertes, des trajets de bus obscurs, des milliers d’inconnus, pis du bonheur. Ça m’a fait du bien, comme des vacances qui se seraient éternisées.

Je repense à cette soirée, je me souviens parfaitement ce que je ressentais. C’était comme si, dans ma tête, il y avait eu une tempête qui avait tout détruit sur son passage. Ce qui restait était dévasté, pourri, rongé par les «bébittes», au bord de s’effondrer.

Aujourd’hui, je suis en reconstruction. Le temps passé à Québec m’a permis de faire le ménage, de pelleter les «cochonneries» dehors. Je me suis refaite des nouvelles fondations, pis des belles à part de ça. Du beau bois solide, qui sent le neuf pis qui te fait dire «Ça va être beau icitte quand ça va être fini»

Asteure, je vois l’Abitibi d’une autre manière. On dirait qu’Amos s’est refaite une beauté en même temps que moi. Les pots de fleurs dans les rues, le nouveau pont, les parcs redessinés, les festivals qui émergent. Je me suis fait des nouveaux amis, je suis tombée en amour avec un gym, pis j’aime ça maintenant marcher dans ses rues tranquilles. Je suis revenue pour ma famille. Je ne le regrette pas, j’aime ça plus que je le pensais.

Malgré ça, je ne sais pas si c’est parce que je suis née à Montréal pis que ça fait partie de moi, mais j’ai l’impression que je ne pourrai pas rester encore bien longtemps ici. C’est pas que je ne suis pas bien, mais je pense que j’ai encore des choses à vivre ailleurs.

Bientôt, je veux reprendre la route, avec mes boîtes pis mes souvenirs, m’installer dans une autre ville, dans une autre région administrative. Me laisser inspirer par des nouvelles rues, des nouveaux gens pis continuer à embellir mon intérieur de ces nouvelles expériences. Dans ma tête, je veux pas rester sur le gyproc, je veux peinturer les murs, ajouter de la déco, rendre ça parfaitement à mon goût, parfaitement moi. Ça va sûrement prendre du temps, mais c’est un projet qui vaut la peine.

Pis quand ça sera fait, qui sait, peut-être que je reviendrai, avec mon petit bonheur bien décoré, m’installer au bord de l’Harricana…à cet endroit précis où tout a commencé.

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Nadyne Lambert

Nadyne Lambert

Née à Montréal, mais ayant vécu là-bas à peine assez longtemps pour apprendre à marcher, c'est à Amos que Nadyne a vécu toute son enfance. Passionnée de théâtre et d'improvisation, il y a de fortes probabilités de la croiser vêtue d'un jogging de Lalibaba et d'un gilet d'hockey.
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