Ce texte ne sera pas joyeux

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Illustration : Christian Beauchemin

Ce texte ne sera pas joyeux. J’aurais aimé ça avoir envie d’écrire quelque chose de festif mais je suis aussi hop la vie que l’album États d’amour d’Isabelle Boulay paru en ‘98. T’sais, l’album sur lequel elle chante « je t’oublierai je t’oublierai je t’oublierai, je t’oublierai, je t’oublierai… » .

Je me souviens quand j’étais ado. L’âge où tu passes ta vie à te faire dire par le surveillant, sur l’heure du midi, que ton chandail est (encore) sorti de tes pantalons.

L’âge où ça te prenait pas toute pour te motiver à faire du sport. L’âge où tu passais en moyenne six à huit heures par semaine dans la piscine à faire des longueurs pis des fois, tu te faisais pogner par ton coach à la fin de ton 200 mètres papillon parce que tu t’aidais avec le câble pour avancer.

L’âge où tu passais des soirées enfermées dans ta chambre à changer les posters de place pis à virer ta chambre de bord au lieu de faire tes devoirs. L’âge où tu passais des heures à éplucher les lyrics de tes tounes préférées pour les sacrer dans ton nickname sur MSN après une tralée de symboles pas possible, exactement comme ceci : »-(¯`v´¯)-»D’jO«-(¯`v´¯)-« : « Emptiness is loneliness, and loneliness is cleanliness And cleanliness is godliness, and god is empty just like me » .

L’âge où t’étais trop gênée pour dire à ton kick que tu trippais dessus depuis deux ans.

Quand j’étais jeune, j’étais pas déniaisée. J’étais vraiment gênée pis l’idée de poser mes lèvres sur celle du gars qui faisait battre mon cœur me donnait envie de vomir. Je savais pas comment procéder, j’étais pétrifiée à l’idée de pas faire la bonne affaire pis j’étais juste pas game de demander à mes amies déniaisées de m’expliquer les rudiments de base parce que j’avais peur de faire rire de moi. Ça fait que j’ai regardé mes amies se faire des chums, une par une, pendant que moi, j’continuais d’espérer un jour arrêter d’être pognée pis de lui avouer, à Jean-Benoit, que j’avais un kick sur lui.

Jean-Benoit, c’est un nom de code pour pas que le gars se reconnaisse.

J’étais en secondaire 5. Un midi, j’étais à la cafétéria et je sais plus comment s’est arrivé mais j’me souviens, j’étais assise à la même table que Jean-Ben’. En face de lui, pour être plus précise. On jasait, je pense, y’avait des amis autour. Je zigonnais avec un boute de papier que j’ai fini par réduire en confettis à force de gosser avec. Je savais pas comment lui dire que je trippais dessus. Ça faisait au moins un an que je le voyais dans ma soupe, que je voulais être sa blonde.

J’me voyais avec personne d’autre, he was the one.

Je tournais autour du pot, j’osais pas lui dire, d’un coup que c’était pas réciproque, la honte. Je pensais à lui tout le temps pis tellement fort. T’sais quand ça te pèse dans la poitrine, quand t’as tout le temps des papillons dans le ventre.

Un moment donné, il s’est mis à gosser avec les confettis lui aussi. Nos doigts se sont effleurés. Oh my god! J’avais l’impression que juste ça, c’était peut-être un genre de début de relation. Quand t’es gênée du french, tu te fais des illusions avec pas mal moins qu’un bec. Pour le reste c’est flou, je sais pas combien de temps on s’est subtilement flatté les doigts. I guess que la cloche a sonné pis qu’il est allé dans ses cours d’enrichi pis moi, dans mes cours de régulier.

J’ai fini par aller au bal avec Jean-Benoit. J’étais super angoissée pis y’a évidemment fallu que la criss de coiffeuse me scrappe la tête. Je voulais pas me faire peigner, j’voulais y aller les cheveux détachés, that’s it. J’ai jamais aimé ça les peignures de type événement chic mais ma mère qui disait que ça se faisait pas, aller à son bal pas coiffée. Un coup sorti du salon de coiffure, j’ai braillé. Je voulais pu aller à mon bal, je me trouvais laite comme un cul.

Les photos en témoignent très bien d’ailleurs. J’y suis allé pareil pis de ce que j’me rappelle, ça a ben été.

Sauf qu’à l’après-bal, j’ai entendu dire qu’il avait embrassé une autre fille à l’abri des regards, du miens en tout cas, caché dans une tente. Ça m’a fait beaucoup de peine. C’pas lui qui m’a déviergé du french, pis du reste d’ailleurs. Ça m’a pris un boute avant de m’en remettre. Selon le scénario qui a longtemps spinné dans ma tête, c’était avec lui que j’allais avoir des enfants. Mais bon, j’apprends rien à personne en disant que c’est pas de même que ça a fini pis guess what, je m’en suis évidemment remis.

Je repense à toute ça aujourd’hui pis j’me demande si je suis nostalgique ou mélancolique. J’me mélange toujours entre les deux.

Nostalgie : Tristesse liée à des choses passées ou que l’on n’a pas connues.

Mélancolie : Abattement soudain ou progressif dont l’humeur maussade laisse une tristesse sans cause apparente envahir le comportement et les émotions d’une personne.

J’pense que j’suis à mi-chemin entre les deux finalement. J’essaie de me rappeler c’était comment être en amour à 17 ans. J’imagine que c’était plus simple qu’à 30 ans. J’aimerais pouvoir retourner à cette époque-là pis avoir hâte de croiser Jean-Benoit dans son allée de casier ou dans la cours d’école.

Cette époque où j’étais toute neuve, où j’étais pas rongée par l’amertume.

Surtout, j’aurais envie d’avoir 17 ans à nouveau parce qu’à cet âge-là, j’avais jamais cassé avec quelqu’un, j’avais juste eu ben de la peine parce que c’était pas moi que Jean-Benoit avait choisi d’embrasser à l’après-bal. Je m’ennuie de cette belle et douce naïveté. La nostalgie de l’époque où je courrais après mon premier french me parait moins rude que la mélancolie causée par le souvenir des doux moments passés avec celui qu’on vient de quitter.

Se réfugier dans l’adolescence pour mieux digérer l’adulteté.

Josée Hardy-Paré

Josée Hardy-Paré

Née dans la forêt boréale de La Sarre, Josée a grandit à La Prairie et évolué dans la grande ville avant d'effectuer un retour en région en 2016. Elle se spécialise en communication culturelle.
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