On connaît maintenant la saveur de l’asphalte avec ses accompagnements de verre en éclats et de givre miroir enveloppant. Le goût du cuivre qui nous roule dans la bouche mais on avale quand même pour ne pas insulter l’hôte. Ce soir la vitrine de notre minoune s’est fait vandaliser par la vie. Je te regarde viré sul top, silencieuse, folle en devenir.
J’ai fait un accident de char.
Il manquait des frames par seconde en ce moment où la mort s’est faite un selfie avec nos têtes de manga japonais. Pendant que l’automobile s’envoyait en l’air, j’ai eu la chance de te regarder le visage de la peur, arcades sourcilières vers l’intérieur mais surtout le bleu-gris de tes yeux qui m’ont dit clairement : « Esti de cave! » . Juste avant de te cogner la tête sur le dash, je l’ai lu dans ta face de mégère colérique qui frétille bleu rouge sous le néon d’un magasin cherchant son circuit en parallèle.
Mon café Tim est maintenant sur le plafond de la voiture. Deux crèmes et un sucre imbibés dans le minou du top de notre char. Tes cheveux sont dépeignés toi qui as l’habitude d’être si droite et si parfaite. Toi qui sais ce qu’il faut faire dans la vie pour avoir la permission de la vivre pleinement. Tu sais comment faire un boeuf bourguignon, comment plier un drap contour et même brosser tes dents de la bonne manière. De te voir ainsi, vulnérable, imparfaite, avec les traits remontés sans les frais d’une chirurgie, c’est franchement rafraîchissant. Tu as une ride sous le menton, je ne l’avais jamais vu avant.
La majorité des gens aurait eu peur dans cette situation mais pas toi. Toi tu as eu le temps de me dire que je suis un con avant de sombrer dans la satisfaction. Un autre fantôme planant au-dessus de Val-d’Or. Un autre témoin qui pourrait se prononcer sur la grandeur du trou à l’entrée de la ville.
Je profite un peu du silence. Je crache le sang qui me rappelle que je suis en vie. Il se mélange à mon café qui ressemble maintenant à un Quick aux fraises. Il faut que je sorte de là.
Je rampe pour sortir de la voiture. Ça fait changement de ramper pour toi. J’ai planté le devant du char dans un édifice du gouvernement fédéral mais au rez-de-chaussée c’est un magasin de bonheur avec des ballons émoticônes gonflés à l’hélium et des piñatas de Dora l’exploratrice qui me fixent comme si elles étaient compréhensives à la situation. Jamais un incident aussi triste n’a eu lieu dans un décor si joyeux.
J’ai peur que le véhicule explose parce que dans les vues, après un accident le char finit toujours par exploser. Je te laisse dormir. Je me paye un répit. J’imagine le flot de sang qui te monte au cerveau, t’engourdit la tête et réprime deux ou trois injures qui m’étaient destinées à ton réveil. J’appelle lentement du secours, je check mon Facebook avant.
Tu as repris conscience lorsqu’un pompier volontaire t’a demandé combien de doigts tu vois. Tu lui as répondu en lui montrant le majeure : « Pis toi combien de doigts tu vois? » .
Le char est fini. Nous aussi.
***
Je te revois 3 ans plus tard au Tigre Géant avec ton nouvel imbécile à magasiner du linge pour un enfant qui a un espace de 5 cm entre les deux dents d’en avant. Je cherche à croiser ton bleu-gris avec mon bleu-vert pour savoir si je suis pardonné. Il y a environ la distance d’un char entre nous deux.
C’est pas un hasard.