Chip : Une histoire de Noël

Chip : Une histoire de Noël

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Illustration : Mathieu Gagnon

Soir de réveillon. Il fait froid dehors, la neige craque sous nos pas pressés. Le clair de lune illumine la place Tourigny. Y a personne à la patinoire – la lueur des lampadaires se reflète sur la glace. De notre porte à la sienne, on arrive chez Mémère en moins de deux.

J’entre derrière mes parents et ma petite sœur, à travers les bottes et chaussures empilées dans les 5 pieds carrés de l’entrée. « Entrez, entrez! V’nez-vous-en! » Le drôle de p’tit sapin est là, suspendu au-dessus de nos têtes. Ma grand-mère, faute d’espace dans son salon, a toujours eu un p’tit sapin de Noël, accroché par la cime au-dessus de l’escalier. Le seul endroit de la maison où y a 10 pieds de plafond. Aucune perte d’espace, pas fou. Même s’il est très bien décoré – sans trop d’extravagance, bien équilibré en boules et guirlandes – je le trouve bizarre ce sapin-là. Y vont où les cadeaux si le sapin pend dans les airs au-dessus de la porte d’entrée?

On est pas les premiers arrivés. Déjà, ça grouille de partout. Dans l’salon, quelques cadeaux trônent sur une petite table (ah, c’est là qu’ils sont!), une cassette d’la Bottine joue dans un p’tit ghetto gris à côté d’un globe terrestre illuminé d’une aura bleutée. J’regarde la calotte du pôle Nord en m’demandant où peut bien être rendu le père Noël dans sa run. J’me gâte avec une couple de chocolats à chaque fois que j’passe devant le plat de p’tites tuques aux cerises et de macarons au coconut qui traine sur le buffet. Dans’ cuisine, ils mettent la table, brassent la vaisselle et popotent. Ça sent bon la bouffe des Fêtes. Salutations d’usages aux mononcles, matantes. « OK les p’tits sortez là, on ouvre le four. » J’en profite pour piquer un petit cornichon sucré et un bout de fromage sur la table en sortant.

Dans’ cave, Pépére est à son poste, comme toujours, assis à son bureau. Juste au pied de l’escalier. En toutes lettres, son calendrier de la Royal Bank of Canada indique : DECEMBER 24. Noël ou pas, il feuillette sa Gazette avec une grande flûte de bière – y met un peu de sel dedans de temps en temps. Un p’tit verre de cognac en prime. « Salut mon beau David! » qu’il me lance, les yeux déjà un peu vitreux. Ça pue la cigarette, les yeux m’piquent. Le poêle à bois est plein. La chaleur, accablante, peut venir à bout de n’importe quel enfant – même sur un rush de chocolat. Ça m’prend un bon quinze minutes à m’habituer à la place, mais c’est là que c’est l’plus tranquille en attendant le festin. J’m’écrase dans le divan à côté de ma cousine et son plat de chips BBQ. Dans l’coin, Le Bateau volant joue à Ciné-cadeau. Ma passe préféré c’est quand le gars qui coure plus vite que l’vent défile entre les arbres pour aller récupérer la fiole qu’ils doivent ramener au Tsar, pour que le héros de l’histoire puisse épouser la princesse. Ou quelque chose du genre…

Ma cousine brandit un chip comme si elle voulait me le faire manger de force. « Mange-le! Aweye David, mange le chip! » J’en veux pas d’son maudit chip. Premièrement, j’suis capable de manger tout seul; j’suis pas un bébé! Deuxièmement, j’viens d’me clancher une poignée de chocolats en cachette et j’ai déjà un peu le cœur à la flotte avec la chaleur, les fumeurs et la fatigue/nervosité qui vient avec le soir du 24…

Et là, dans un enchainement plutôt flou de feintes et de jeux de têtes : « voyons David, qu’est-ce tu fais là!? » Mes oncles, plus ou moins témoins de la scène complète, capotent un peu. « Ayoye, la chip dans l’œil! » J’viens-tu de me faire crever l’œil par un chip BBQ?

Dans un reflexe quasi-surnaturel, j’ai réussi à fermer l’œil, pile dessus, avant qu’il me touche la cornée. Ma cousine, en panique, lâche le chip. Il est encore planté là.

Je sens les petits grains d’assaisonnement rugueux me frotter le bord des paupières – ça chauffe! Je tiens mon œil fermé le plus fort que j’peux. Pas question de l’rouvrir. Sérieusement, j’pense que j’goûte le chip avec mes yeux – paupières gustatives, anyone?

Un de mes oncles fini par réussir à me calmer pour que je laisse tranquillement aller la fine tranche de patate… Plus de peur que de mal.

En attendant que les parents nous appellent pour aller manger de la tourtière avec des bettes, et que le pèr’No finisse par arriver, je continue de regarder notre conte russe à Radio-Québec avec une débarbouillette sur l’œil – comme un pirate weirdo qui aurait bien fitté avec le petit Piotr et sa gang de figurines animées. Après le monsieur qui a une grosse oreille pour tout entendre, la madame qui mange sans fin et l’archer qui rate jamais son coup : le garçon qui voyait toujours la vie avec un peu plus de piquant!

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David Lavictoire

David Lavictoire

Born and raised à Rouyn-Noranda, David est un monument de la scène RNHC. C'est une encyclopédie vivante, un affichiste, chanteur et rédacteur marketing en parfaite symbiose avec son sommeil paradoxal. Bref, il fait tout'.
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