La fin du pouce : Aventure père-fils Ô Canada

La fin du pouce : Aventure père-fils Ô Canada

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22 juillet 2016, Alberta

Sur la route 22, la Cowboy Trail de l’Alberta, le soleil, contraste, tape fort. Contraste parce ça comme pris du temps avant qu’y décide d’assumer sa job d’été. C’est samedi, on est à Cochrane, à ben proche 500 km d’Edmonton, à deux, trois cent pieds de Calgary. Noam et moi, on fait de la route. Noam c’est un toffe. Un toffe de 10 ans. Ça fait une vingtaine de jours qu’on est en déséquilibre semi-contrôlé, voyageant sur le dos du temps qu’on a, pis d’l’argent que si on en avait vraiment gros, on pourrait pas s’acheter ce bonheur-là avec.

On a nos sacs, itou. Sont gros! Dedans : une tente, du stock de camping, du linge. On a l’cœur dins’yeux, pis ça va pas pire ben. On est des backpackers! Du vrai real! Poétique pis initiatique.

Partis de Rouyn début juillet avec une ride à Montréal, un train Via pour trois jours en waguinne Économie, un bus Greyhound, des taxis, d’la marche, des campings chers des fois pis des tentes montées à brunante mais sans frais d’aut’ fois, d’la pluie steady les six-sept premiers jours, d’la grêle grosse de même le 8e, pis là, après les rivières de films de cowboys, les Rocheuses que tu sais pas si y sont tes amies… on fa du pouce.

Hein?
Oui, c’est ça; avec mon fils.
Quel âge? 10 ans. Je l’ai dit taleur.
Pis… ben oui, on fait du pouce.
Sa mère a l’sé.

À Edmonton, dans 500 kilomètres, on a un train qui part à minuit pour Toronto. Rendus là, on va à Wonderland, le La Ronde des Ontarios.

On a l’temps en masse, y fait beau, on a toute la journée. On n’est pas riches mais on a du cœur. Sauf que là, les chars passent pas trop…
Je chante pour avoir l’air de chiller. Me ronge un ongle, faque on entend pas que c’est R.E.M.

N : « Papa? »
B : (un peu raide) : «Quessé mon homme?»
N : «Ben… le pouce là, genre… c’est quand ça a commencé? Le sais-tu? »

B : « …eeuh, pas tant non. Zéro idée en fait, mon homme! Mais t’sé Noam, ça doit faire pas mal longtemps, parce j’sé que l’pouce, c’est comme un code international. Ça marche partout ; tu sors le pouce, tu souris, t’attends. Pis tu rencontres du monde cool pis tu partages! C’est comme une sorte d’échange. Pis maudit qu’on s’sent libre quand on fait du pouce, le pouce, c’est poétique, même !! »

Ben timés avec la fin de mon songe, trois chars passent sans ralentir pantoute. Y’en a un, le premier, qui nous klaxonne ça goulument avec la version allongée du coup d’criard! T’sé, le criard qui fait un fade-in parfait, à mesure que l’char s’approche pis qui te tue l’ouie ben raide quand y te passe en face, à grosse planche…

«Puuuuuttttttt! Puuuuuuttttttttttt!»

En les r’gardant s’éloigner, je vois que le son du criard a pu l’air de fitter avec le char d’où y sortait taleur! J’peux m’émouvoir sur un dix cenne moé, really, c’est ma force! Faque que je r’tombe dans mon songe : «C’est grand pis bourré d’mystères la vie quand même han? Pis dans l’fond, y’a d’la liberté à user en masse si on cherche ben…»

Ouain! Le pouce, j’te l’dis, c’est loadé de p’tites épiphanies.

Faque là…

N : « Papa? Papa? »
B : « Hein ? Quoi ? Quessé qu’y’a, Noam? J’t’entends pas, j’fais du pouce…»
N : « R’garde, Papa!! Des polices. Check ça, y viennent nous parler, y s’parquent !! »
B : «… »

***

2 août 2016, Rouyn-Noranda

Partir un mois ou deux avec mon enfant, pour une aventure qui saurait nous offrir, voire nous imposer, des défis techniques, culturels, budgétaires ou de gestion du quotidien, c’était un projet incontournable pour moi. On la préparait depuis un an. Et notre aventure Ô Canada, terminée le 30 juillet après environ 7000 km de route, nous l’avons bouffée, rien de moins, pour en goûter toutes les saveurs.

Après le check-up de la GRC cette fois-là, fait avec beaucoup de politesse, on s’est sentis respectés, zéro jugés, et cette simple idée de faire du pouce avec mon fils de 10 ans est restée intacte en ce qu’elle contient de génial, du point de vue des contacts humains et à un paquet d’autres égards aussi. Faire du pouce, c’est hot!!

Mais après avoir été interrogés 4 fois en deux jours, pis ça, juste entre Orilia et North Bay (400 km max), dont trois fois le matin du 30 juillet sur la route 11 et en raison de plaintes d’usagers de la route inquiets (really?) ou… agacés (?), je me suis demandé si c’était pas… la fin du pouce. Ben, pour moi, j’veux dire! Comme moyen de voyager autrement, comme occasion de tenter sa chance. Sûrement pas plus dangereux que le casino, ou les machines à cennes, de tenter sa chance… avec du monde! Mais j’ai aussi pensé que ça serait peut-être la fin du pouce, comme phénomène : pour les backpacker’s en mode road trip, pour les joyeux wabos qui vont avec les saisons d’un bout à l’autre du pays, y’aura-t-il la fin du pouce?

Me suis pogné à envisager que l’obsession de l’occident pour la **cking sécurité va finir par v’nir à boutte de toutes les cœurs vagabonds!

En fait, quand j’ai posé mon sac le 30 juillet au terminus, j’avais même pu l’goût d’y penser. C’tait comme réglé. Mais pendant que j’écrivais les premiers mots de ce récit, au téléphone, Marie, la mère de Noam, m’a lu ces vers-là, écrits le soir du 30, le soir de notre arrivée, par mon buddy voyageur de 10 ans.

Je te les partage.

On part ce soir
Au gré du vent

Maman, papa
On part
Sac à dos
Et cœur en soie

On part avec des projets
On revient avec des accomplissements
Et des histoires d’amitié
Et le cœur en éclat de fleurs

Il scintille comme les étoiles une nuit de juillet,
Une nuit à la belle étoile

Une étoile filante au gré du temps…
On fait un vœu d’aventure
Un goût d’expériences fascinantes

Et des souvenirs de vie…

Noam, 10 ans
Pour son frère Ulysse
30/07/16

Faque aujourd’hui je répond NON. La fin du pouce? No way! Pas demain, pas l’mois prochain. Parce que l’pouce, j’te l’dis, c’est poétique.

Bruce Gervais

Bruce Gervais

Ancien journaliste à Radio-Canada et Rouynorandien d'origine, Bruce est un auteur publié aux Éditions du Quartz. Son livre : "Dormir Debout" est l'une des sources d'inspiration ayant stimulé la création de la plateforme Abitibi/Montréal.
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À peine arrivée

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Ma Noranda : bénévolement vôtre

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