À peine arrivée

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Illustration : Janie Bastien

Il y a deux mois de ça, j’ai posé mes valises sur le bois franc de ce vieil appartement du quartier Villeray. Pas vraiment par envie. Pas vraiment de gaieté de cœur. Plutôt par nécessité.

Je suis entrée dans mon logement de la rue de Bordeaux et je ne me suis pas sentie chez moi. Mais ça, je le voyais venir. Impossible de blâmer qui que ce soit pour ça. Je savais qu’il me faudrait faire preuve de patience. Je me suis pliée à cette implacable « loi de maman » : le temps arrange les choses.

Pendant les 600 km entre mon ancien et mon nouveau chez-moi, j’ai trimbalé mon chat. En plus d’avoir le mal des transports, ce félin-là, d’origine gaspésienne m’a-t-on dit, incarne ce qui s’est bien passé durant mes années universitaires. Et tout le reste. Il est donc un incontournable de ce roadtrip, une sorte de refuge.

Mais, bon, on s’est retrouvés rapidement chez le vet, lui pis moi. Faut croire que cette ville aux rues interminables était une adaptation pour lui aussi. Après deux minutes en ma compagnie, le vétérinaire essayait de comprendre mon parcours. Rouyn, Ottawa, Sherbrooke, Rouyn et Montréal.

« Est-ce que vous restez longtemps à Montréal? »

J’ai trouvé qu’elle venait un peu vite, cette question existentielle. On se connaissait à peine! Et puis, je n’avais pas de réponse à ça. Alors j’ai ri, sans rien ajouter.

Lorsque le vet a dit « Montréal », j’ai vraiment saisi que j’y étais. Que c’était fait! Ça m’a donné une impression de vertige. Pour apprivoiser cette ville, pour la rendre plus chaleureuse à mes yeux, j’ai observé l’humain. S’il est un peu tôt pour proposer une étude anthropologique complète, j’ai quand même décidé de partager une liste de 10 observations qui ont donné vie à Montréal dans mon imaginaire. Et ça, en soi, c’est déjà beaucoup.

1. J’aime les hasards qu’offre cette ville de 1,65 million d’habitants. J’ai aimé croiser, un bon matin, cette nouvelle collègue qui vivait, elle aussi, sur la rue de Bordeaux, presque en face de mon appartement. Comme quoi, même dans une grande ville, le monde est petit…

2. Je suis heureuse d’assister au rituel de ce couple (de Marcocains?) que je vois tous les jours, station Jean-Talon. Main dans la main, ils marchent lentement, s’arrêtent à côté des rails et restent près l’un de l’autre sans vraiment s’adresser la parole, jusqu’à l’approche du métro. La femme embrasse ensuite furtivement son homme et s’en va aux pas de course, comme si soudainement elle prenait conscience du temps qui file et du lieu où elle se trouve. Son compagnon attendra alors qu’elle disparaisse de son champ de vision, quémandant un dernier regard qui ne viendra pas, puis il embarquera dans son wagon.

3. J’ai remarqué les habitudes réglées comme une horloge du Magicien. Le même homme – au chapeau noir de Zorro, à la barbe fine, aux cheveux longs attachés en queue de cheval, aux chemises éclatantes, au complet impeccable, aux chaussures cirées – se tient toujours dans mon wagon, appuyé sur une porte du métro, les yeux rivés sur son téléphone cellulaire. Il ne perd jamais l’équilibre pendant l’accélération du métro. Je l’ai rapidement surnommé le Magicien, malgré son air blasé. Une fois entrée dans mon wagon, il ne me faut qu’un coup d’œil autour de moi pour l’apercevoir, droit comme une barre, sérieux comme un pape. Sa présence a quelque chose de rassurant.

4. J’ai été happée par la détresse de cette vieille femme, station Crémazie. Sur sa chevelure grise, elle a noué un foulard rouge. Elle chante seule pendant que le train se déplace et elle s’arrête lorsque les portes s’ouvrent pour beugler des insultes confuses, pointant de son doigt difforme des êtres invisibles. À moi, elle ne dit rien. Même si je suis droit devant elle.

5. J’ai trouvé qu’ils étaient pressés, ces Montréalais. Condamnés à dépendre de ce train qui ne les attendra pas, même s’ils crient, même s’ils sacrent. « Retenir les portes ralentit le service. » J’ai entendu le bruit typique qui annonce la fermeture des portes et j’ai assisté à leur course qu’ils ne ralentissent pas, qu’ils accélèrent plutôt. All in. Je m’écarte de leur chemin, les regarde gagner ce wagon que je verrai repartir sans moi, jusqu’au prochain… quatre minutes plus tard.

Mais bien vite, je me mets à les imiter. Je cours, je zigzague entre ces gens trop zen, je freine subitement devant la foule qui arrive à contresens, puis je souris bêtement une fois entrée avant la fermeture des portes. Mais un très bref sourire ; sourire dans une foule équivaut à rire pendant des funérailles.

6. J’ai été inquiète de croiser ces deux petits bonshommes, des jumeaux, qui trimbalaient fièrement leur nouveau jouet en traversant le tourniquet de la station Fabre. D’une main, il tenait celle de leur père, de l’autre, ils peinaient à tenir un fusil en plastique d’une couleur tape à l’œil. Des fusils trop gros pour leurs corps chétifs. Deux fusils plutôt qu’un, pour éviter la chicane.

7. J’ai aimé recevoir quatre lettres dans une journée et qu’aucune d’entre elles ne soit adressée à l’une de mes colocataires ou bien à moi.

J’ai aimé sentir le vécu de cet appartement et cette forme d’anonymat qu’une telle ville peut offrir. Où sont ces gens maintenant? Que contient ce colis laissé à la poste que personne n’ira chercher?

8. J’ai trouvé que les adieux font mal, peu importe la ville où ils se déroulent.

9. J’ai ri de ces ados un peu bêtes, trop fiers d’avoir sauté par-dessus le tourniquet sans payer, s’en vantant sans gêne comme s’ils avaient réalisé un exploit méritant des félicitations. Par contre, j’ai aimé leur inquiétude devant la porte du wagon qui demeurait ouverte quelques secondes de plus… puis, l’euphorie quand ils ont compris qu’on ne les rattraperait pas. De vrais durs à cuire.

10. J’ai constaté que dans une ville aussi grande, où autant de gens se croisent chaque jour en se regardant à peine, la solitude peut se faire encore plus étouffante. Certes, les solutions demeurent les mêmes; les longues marches, les moments entre amis, les gestes de réconfort. Leurs effets, quoiqu’éphémères, sont tout aussi précieux.

Sophie Prévost

Sophie Prévost

Diplômée en journalisme et littérature, Sophie est une grande observatrice ayant habité à Rouyn-Noranda, Ottawa, Sherbrooke et Montréal. Elle se joint aux collaborateurs d'AT/MTL avec une plume axée sur la grande ville.
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