Il m’apparaît dans des lieux précis. Il se manifeste dans les ruelles de Noranda, les racoins d’Évain et les patelins du Témiscamingue. Il m’interpelle tout bas, avec sa voix des cavernes, et m’invite à explorer les souterrains de ma mémoire, mes galeries dorées. J’éclate de rire et m’enroule dans les fourrures d’un lointain passé. Je visite ma propre histoire.
Le fantôme de mon enfance me rappelle que j’étais une petite fille confiante. Il me pousse à embrasser l’inconnu et me défend d’avoir peur. Il me dit que tous les loups sont gris et qu’il suffit d’allumer un feu pour avoir une réponse. Il me répète qu’une seule parole fait toute la différence et qu’il vaut mieux recoudre ses plaies avec des fils de couleur qu’avec les ficelles trop fines du silence. Il m’apprend à parler aux pleines lunes, à flâner dans la forêt boréale. Il me fabrique des flèches et me montre comment ne plus craindre la faim, le froid, le manque.
Ensemble, nous guettons la beauté qui se cache derrière les buissons de l’ordinaire, poursuivant l’émerveillement et la candeur. Nous nous allongeons sur le sol imbibé de poèmes et nous écoutons battre le cœur de notre terre natale. Nous sentons tous les deux que nous appartenons à l’endroit où nous sommes. C’est gravé dans la pierre que nous relisons chaque fois.
Puis vient l’heure de partir. Je quitte l’Abitibi. Le long de la 117, mon enfance pâlit.
Ma vie reprend ses droits d’auteur et d’adulte. Je marche à l’infini sur une terre étrangère où je croise des fantômes que je ne reconnais pas. Je frôle des souvenirs qui ne sont pas les miens. Je suis hantée par le lieu d’où je viens. Ad vitam aeternam, ma force me vient d’ailleurs : d’une ruelle enneigée, d’un village nordique, d’un lac préhistorique.