Bruit de fond

Bruit de fond

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C’est le soleil qui tape de plein fouet sur un patio du Vieux-Noranda. La fonderie est invisible, mais tu l’entends se chicaner avec l’univers. Ça ressemble un peu à des bruits d’orage, mais sans les éclairs.

Il fait beaucoup trop chaud, le vent boude et t’as hâte que les métaux pleuvent. C’est comme si l’or avait tellement coulé que les nuages ne pouvaient même plus se condenser.

La ville s’agrandit pendant que toi, tu te sens petite.

Trop petite pour être à la hauteur, mais trop grande pour le plafond de verre qu’on a inventé à ta place. En fait, tu ne sais pas si c’est toi qui es trop grande ou si c’est le plafond qui est trop bas. Anyway, t’as intérêt à te pencher pour éviter que ton crâne explose sur des bombes qui ne t’appartiennent pas.

Quand tu n’esquives pas assez vite, il y a toujours des envies de métropole qui surgissent.

T’imagines que l’effervescence de la ville te ferait oublier ton voisin qui arrose son asphalte pour une raison obscure, ou que le bruit du monde enterrerait les grognements de la fonderie qui te réveillent la nuit.

T’oses aussi espérer que les chats errants sont moins blessants dans Villeray.

C’est quelque chose de récurrent, tes envies de métropole. Elles reviennent à chaque fois qu’une luciole s’éteint ou qu’une feuille tombe de la plante verte que tu laisses mourir dans l’salon.

Quand t’as la tête pleine de cuivre, tu mets tout ça sur la faute de la fonderie. Selon la légende, il semblerait qu’elle rush pas mal.

Tu l’aimes, la fonderie, avec l’ensemble de ses qualités et de ses défauts.
Tu l’haïs aussi, parce qu’elle t’empoisonne avec ses crachats acides qui te brûlent la face quand tu lui cries qu’elle t’humilie.

Tu gagnes ta vie abitibienne à faire la lumière sur des cheminées oubliées dans la brume.
Mais la fonderie, elle, est trop puissante pour ta flashlight du Dollorama.

Tu ne sais pas si t’arriverais à gagner ta vie en apportant un peu de réconfort dans des cœurs urbains.
Tu sais candidement que la glace craque à grand coup de bonheur mal géré, pis que le miroir est fin même si son reflet est laid.

Tu voudrais juste gagner le prix le plus convoité d’un tournoi de pêche au lac Flavrian avec un vieux jig sale pis un karma cheap.

Quand l’ambivalence entre le fleuve et les lacs trace son chemin entre 2 dorés, tu serais bien mal placée pour ignorer tes trophées. T’es capable de rester drette dans une chaloupe quand il mouille à boire assis. T’oublies parfois que t’es pas obligée de mettre ta ligne à l’eau quand la rivière est louche.

Tes envies de métropole, elles sont là, vont disparaître et revenir pour d’autres raisons.

Ton Vieux-Noranda te rajeunit les désirs. Il te raconte des souvenirs même quand tu ne veux pas te rappeler.

Ta Noranda, tu l’aimes même quand elle dépasse tes limites.

Elle te rappelle que tu flirt mal avec la ville et les gens en général. Ce n’est clairement pas en fermant le Bar des Chums sur Still loving you que la fonderie va se taire. Tu l’entendrais même en fermant La Rockette parce que son tonnerre te suit partout où tu passes.

Évidemment, t’es mieux de commencer par ouvrir des choses ici avant de fermer quoi que ce soit ailleurs.

Ouvre ta fenêtre d’en arrière pour regarder ton jardin pousser à travers les crackhouses de la Matapedia.

Ouvre tes livres pour te rappeler tes histoires préférées, même si les happy endings n’existent pas.

Ouvre ta porte quand ça cogne, même si t’as la chienne qu’on te découvre.

Tu devrais rester icitte pour ouvrir ta musique et l’écouter tellement fort que les décibels enterreraient enfin le bruit de la fonderie. Mettre le volume au maximum, pour finalement avoir un peu de silence et en faire profiter le quartier au grand complet.

Je te souhaite d’être game de faire ça jusqu’à ce que tes envies de métropole reviennent.

D’ici là, ouvre ta table tournante pour que Jean Leloup te dise que Paradis city, c’est l’endroit où y’a fallu que t’ailles pour comprendre que ce n’était pas ça.

Vanessa Boucher

Vanessa Boucher

Travailleuse sociale originaire d'Évain, elle a étudié à Montréal avant de revenir en région pour retrouver ce qui n'existe pas ailleurs. Elle rêve que l'humanité se tienne joyeusement par la main en chantant une toune de Beau Dommage.
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