L’éxilé en tous lieux

L’éxilé en tous lieux

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Perdu au fond des bois.
Dans cette immensité de conifères, à 600 km de la ville des envies.
Je retrouve mon moi-même.

Le corbeau perché à la cime rachitique, seul point noir dans tout ce blanc.
Un battement d’ailes dans le froid, sans croassement.
Unique son venant briser un silence figé à -30 degrés.

Puis, plus rien. Ma respiration, seulement.
Et mes pensées qui répondent au corbeau.
Comme chaque fois où mes raquettes m’ont mené au bout de ce sentier d’enfance que je connais trop.

Peu importe le temps,
toujours ce sentiment d’apaisement.

Par un ciel bleu, libre de tous nuages, dans lequel explose un soleil jaune pétant.
La forêt détonne, noire, grise, et soudainement verte quand un rayon traverse les grandes épinettes.
Et la neige, un miroir scintillant qui aveugle.

Ou encore, par un ciel blanc, voilé partout, comme si c’était au tour de la neige de s’y refléter.
Et la forêt, toujours noire, grise, mais pas verte cette fois, car aucun rayon pour embellir les géants silencieux.
Une forêt sombre, une bande au centre de l’entité « neige-ciel », telle une coupure dans cette blancheur parfaitement immaculée.

Deux paysages aux extrêmes du thermomètre hivernal, deux paysages où règnent contrastes visuels.
Ils me fouettent les pensées, au rythme du vent sur mon visage à découvert.
La puissance de la forêt, je l’ai toujours senti en moi, pas tellement comme un appel mais plutôt comme une présence.

Cette présence qui vibre au fond de chaque Abitibien, c’est l’âme de la forêt boréale qui a survécu à tous les hivers.
C’est l’esprit des premières nations, des premiers colons et de leur métissage.
C’est le sifflement de l’arbre dans le blizzard, le glissement du canot sur le lac calme.
C’est le silence obligé devant la Voie Lactée, la douceur du lichen sous les pieds.

Mais c’est aussi la chaleur et l’authenticité des habitants, les rimes de Desjardins, porteur de nos voix. C’est l’espoir de créer l’Histoire, de créer du beau pour ce jeune pays où tout peut encore être fait.

Est-il possible de vivre sans son caractère apaisant, qui m’aide à me recentrer et qui toujours, me guide vers la bonne décision lorsque la vie fait ressurgir ses grandes interrogations?

La question se pose, elle est légitime.

Suis-je seul, à bord de mon rafiot, voguant vers un nulle part identitaire?
Comment choisir quand on apprécie autant l’effervescence de la ville que la tranquillité de la forêt?
Un dilemme complexe ressenti par peu de gens.
Une vision lourde de sens partagée par ceux qui comme moi, se sentent exilés en tous lieux.

Car malgré cela, il reste vrai que je frémis au souvenir des coups de pédale dans les rues de Montréal, du café au balcon pendant que la ville s’éveille précédé par la marche matinale à la boulangerie du coin, du sentiment ô combien unique de tout avoir à porté de main, à porté d’envie.

Ah Montréal!
Ta vie grouille à la musique de tes activités toujours plus diversifiées.
Elles nous permettent d’exister pour autre chose qu’un emploi, de vivre pour soi, uniquement.
Croyant manquer de temps pour t’accomplir, tu bouges à vitesse grand V et tu croques dans chacune des secondes.

Dans ce monde où tu crés tes propres opportunités, chaque jour amène son bol de nouveauté. Je m’y abreuve et tu t’y abreuves, tout comme le voisin d’en bas et la dame promenant son chat, chacun mérite sa gorgée. Surpasseur d’inatteignable, je m’y sens CAPABLE en lettres majuscules. Je m’y sens vivre, autrement.

Un rire d’enfant courant les ruelles, un sourire sur les visages au parc.
On se croise, se rencontre et se choque, puis on continue vers du neuf.
Nos déplacements sont calculés, on vit au rythme de nos pas.
Comme la tomate sur mon balcon, on se fraye un chemin jusqu’aux dernières lueurs d’automne et tant pis pour les économies de bons moments, il en viendra d’autres.

Comment choisir quand on apprécie autant le contact de la foule que celui de l’écorce sous la paume? Mais surtout, pourquoi choisir? Pourquoi se sentir poussé à prendre parti?

La plupart possèdent une vision très manichéenne du problème, associant soit la ville à l’inconnu, l’inconfort, le stress ou soit la campagne à la platitude, le renfermement et l’isolement, avec dans les deux cas, l’élément opposé faisant figure du Bien. Cette vision peut s’apparenter à une fuite, une échappatoire facile devant la peur de l’inconnu, un jugement de modes de vie jamais expérimentés.

Cette vision, je n’y crois pas. Je n’y crois pas car après avoir vécu, de la manière la plus honnête possible, dans ces deux milieux, je peux affirmer que je les porte dans mon coeur à parts égales.

J’y suis parvenu en faisant abstraction de toutes critiques externes au sujet du nouvel environnement. Il est primordial de ne baser notre opinion que sur nos expériences, d’être curieux et de ne pas avoir peur de se perdre. La cerise sur la montagne royale : avoir des occupations qui nous font vibrer, réellement.

Je porte dans mon coeur la ville de l’Île et la ville du Nord.
Un amour que j’éprouve, mais qui reste difficile à expliquer.
Il ne fait qu’exister, et ça, c’est suffisant pour vouloir te l’exprimer.

De retour à l’extrémité sud de la 117, après une pause d’un an de la grande ville, à divaguer entre la Capitale du cuivre et nos voisins de l’Ouest, j’essaie de voir clair à travers ce ramassis d’idées et de projets jaillissant à tout coup après chaque déplacement.

Perdu dans les trottoirs, je chemine et explore mon décor.

 

Hubert Trépanier

Hubert Trépanier

Natif de Rouyn-Noranda, Hubert est un physicien passionné de voyage, d'escalade et de plein air en tout genre. Habitant à Montréal depuis près de 7 ans, c'est avec le même engouement qu'il retraverse La Vérendry quand lui prend l'envie d'aller se perdre dans le bois. Multipotentialiste de nature, il tente via différents projets sociaux de rapprocher les gens des régions et ceux de la métropole. Il aime bien rempoter ses plantes, brosser son chat, faire de la mécanique sur son vélo et découvrir de nouvelles microbrasseries.
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