Perdre un kodak : Entrevue avec Joël Bourgoin

Perdre un kodak : Entrevue avec Joël Bourgoin

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Je m’intéresse beaucoup aux gens qui quittent un lieu. Montréal ou l’Abitibi. À mon sens on devrait tous leur accorder un moment pour s’exprimer par rapport à leur expérience dans ce lieu. Qu’est-ce qui n’a pas marché?

Entrevue avec Joël Bourgoin, un photographe de la région qui nous quitte pour Montréal – ou Saint-Jérôme plus précisément.

« La vrai raison pour laquelle je m’en vais, c’est pour mon gars. Il m’a été retiré en 1997 alors qu’il avait juste un an. »

Qu’est-ce que tu veux dire par « retiré »?

La garde de mon gars m’a été retirée en fait. Moi je suis un gars qui vient de Chibougamau. Je suis arrivé icitte en 71. Je viens d’une famille de 5 sur l’aide sociale. Pas de père à la maison, j’ai eu une enfance qu’on pourrait qualifié de « difficile ».

J’ai été élevé dans la rue. C’est ça grosso modo.

J’ai des cycles de déplacement dans ma vie. J’ai voyagé pas mal depuis 84 : Vancouver, Montréal, Toronto, la Gaspésie et Saint-Jérôme. Je suis partie et revenu à plusieurs reprises de l’Abitibi. En 1997, il m’est arrivé un événement qui m’a fait perdre la garde de mon fils. J’étais pas un enfant d’chœur disons.

J’ai revu mon fils quand il a atteint l’âge de 5 ans, mais à l’époque j’manquais de stabilité dans ma vie pour être un bon père. Je pouvais pas garantir ça. J’me suis donc abstenu de le voir pour éviter de l’blesser.

Aujourd’hui, mon gars a 20 ans. On a repris contact depuis peu via Facebook. Il habite Saint-Jérôme, mais il avait des problèmes là-bas alors il est venu vivre avec moi à Rouyn-Noranda. Nouvel environnement, nouvelle ville. Après un bout, il s’ennuyait beaucoup de Saint-Jérôme, c’est donc moi qui va le suivre là-bas finalement.

Moi j’lui ai dit : « Jamais plus je r’tournerai en d’dans ». Parce que quand j’faisais des coups, je le faisais pas parce que je consommais, je le faisais pour le feeling. Le thrill. Pour l’adrénaline. Y en a qui sautent en parachute et d’autres qui aiment voler.

Qu’est-ce que tu as le plus aimé ici?

En fait, moi j’suis revenu en Abitibi en 2012. Et j’étais revenu juste pour faire le point sur mon passé et pour démontrer aux autres, à la population, que j’étais plus l’homme qu’ils ont connu. Je suis vraiment revenu juste pour ça.

Personne m’a donné de chance. Je l’ai fait par moi-même. J’ai cogné aux portes, bousculé des gens. Après trois ans, j’ai enfin l’impression que de la part des citoyens il y a une grande acceptation. Au point de vue des arts, c’est bon également. Par contre au niveau professionnel, commercial, c’est pas encore « ça ».

Un des premiers à m’avoir offert une job, c’est Marcel-Yves (du Cabaret de la Dernière Chance) et une des premières salles de spectacle qui a offert une job à Richard Desjardins, c’est le Cab!

J’avais publié un article avec une photo de Desjardins lors d’un festival en Abitibi pour éventuellement la mettre dans une exposition. C’était tout un honneur pour moi et pourtant, ça m’a marqué que du monde haut placé du domaine artistique en Abitibi m’appelle pour me demander de retirer la photo, par crainte de se voir associé à moi.

Aucune photo a été décrochée. Moi j’ai toujours dit : « Too bad ».

Si j’passe dans le National Geographic comme la photo d’une journée*, c’est un bel encouragement pour moi. Ça m’appuie dans ma démarche et dans la qualité de mes photos. C’est crissement bon! J’me dis que j’ai pas réellement d’besoin de l’appui de la ville.

Avant, il fallait que je cours pour avoir des contrats photo. Et maintenant, juste avant de partir, j’ai cinq séances de prévues juste cette semaine.

Non, j’en veux pas au gens. Je pars l’esprit serein parce que je l’sais que j’ai d’quoi d’meilleur qui m’attend là-bas.

Qu’est-ce qui va te manquer le plus?

Les parties de pêche avec mes chums! T’sais tout mes chums sont icitte! On passe pas deux semaines sans se voir. Ça fait au-delà de 40 ans qu’on est amis. J’ai 20 000 personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux, mais des bons chums j’en ai juste besoin de 4 ou 5. La distance, on est plus fort que ça.

Tu pêches sur quel lac?

Ben moé j’aime ben l’Dufault. J’aime ben crier après les bateaux qui viennent entre le pont pis la passerelle. T’es en train de caster man pis ils viennent te scrapper ta ligne. J’dis souvent qu’on devrait poser un gros fil de fer! Quand le gars arrive avec son Jet Ski il se fait accrocher et se pète la yeule! (rires)

J’vais aussi m’ennuyer des couchers de soleil. On a les plus beaux icitte!

Pourquoi à ton avis?

Ben, premièrement, le soleil se couche une demi-heure plus tard. Il rentre dans une pénombre étant donné qu’on est plus au nord et ça crée un voile qui agit un peu comme filtre naturel. Ce filtre-là tu l’auras pas à Toronto, ni à Montréal.

En étant plus loin du soleil, ça agit comme un filtre polarisant devant ton objectif. Tes verts deviennent plus verts. Tes bleus plus bleus. Il faut bien connaitre les spectres pour apprécier ça.

Quand je prend une photo, j’essaye de capturer l’état d’âme. Dans mes portraits, par exemple, j’ai pas beaucoup de sourire. Une personne qui va venir dans mon studio je vais lui dire : « Sois toi-même! Si t’es triste, je veux que tu le démontres. T’es timide? Sois timide! Je veux pas que tu sois une phony. Je veux pas que tu pètes la bulle.«  Je pense que le monde vient me voir pour ça. Parce que je respecte et rend justice à leur état.

Après trois ans en Abitibi, ça été trois salles de spectacle que j’ai réussi à avoir. Le Cabaret, la Scène Évolu-Son; j’ai commencé avec le Trèfle Noir et j’ai fait un premier contrat pour le Paramount. Une belle victoire avant mon départ.

Tranquillement, j’ai fait ma place et les gens étaient reconnaissant parce que oui je chargeais pas cher, mais en même temps mon intention première est de faire bénéficier aux artistes émergents la possibilité de se faire voir avec des bonnes photos. Ayant un très grand réseau de contact, je leur ai offert une belle fenêtre de visibilité.

Comment la photo est arrivé dans ta vie?

Ben j’ai suivi ma formation au Collège Marsan – formation que je suis toujours actuellement. Mon mentor est en fait une retoucheuse photo. Elle donne beaucoup dans la mode et le commercial et elle me forme en retouche photo. 95% de mon boulot c’est de la retouche photo.

Si je fais un spectacle un soir, en 24 h le client reçoit ses photos.

C’est quoi l’avenir pour toi? Ton plan de match à Saint-Jérôme?

Ben, premièrement, je ne quitte pas l’Abitibi pour de bon. J’ai toujours des clients et des contrats ici. Je reviens d’ailleurs en août pour un shooting. Mais en gros, je dois me faire connaitre à Saint-Jérôme. C’est un nouveau départ, un peu comme repartir à zéro.

J’vais avoir plus de temps pour mes projets.

Comme quoi par exemple?

La cause des sans-abri me tient à cœur. Je prépare une exposition sur le sujet. Toronto est une ville dix fois plus avancée au niveau des sans-abri que Montréal. T’sais à -20 là-bas, les policiers laissent les sans-abri dormir dans les guichets automatiques. À Montréal, faut que sa disparaisse! Le monde chiale que c’est laid!

Si tu vas dans le quartier commercial à Toronto, tu vas trouver des sans-abri à tous les coins de rue. Ils sont acceptés. Les gens passent et ils en font plus un cas.

Mon but, dans cet exposition-là, c’est de dire que c’est vos enfants! Ça peut arriver à n’importe qui! Moé, j’ai connu des hommes bien placés, ils ont perdus leur femmes, sont tombés dans’ drogue, après ça dans l’jeu, dans les dettes; ils ont pariés leur maison et ensuite ils finissent dans la rue.

Le but de la photo c’est de faire parler. Peu importe quel genre de photo tu fais. C’est une thérapie également. Parce qu’on peut toujours se faire juger par le monde. Par son conjoint, ses amis, par sa ville, mais la photo elle juge pas, elle montre.

Tu peux montrer à une femme : « R’garde criss t’es belle! Oui, tu peux te faire dénigrer par ton chum ou par le voisin, mais jamais par un photographe « . Parce qu’on veux juste saisir ta personne par une image. Que tu sois beau, que tu sois laid, tu vas toujours être beau. Parce que le plus beau des laites est super beau.

Penses-tu revenir en Abitibi-Témiscamingue un jour?

J’pense que j’ai fait mon temps ici. Quand je suis revenu il y trois ans, c’était pour faire la paix avec mon passé et je pars avec le sentiment du devoir accompli. En plus, Montréal est un terrain que j’aime bien. J’me rapproche de mon fils, de ma fille aussi qui est à Sainte-Foy – enceinte de son deuxième – pis mon autre fille est en Gaspésie.

En gros, j’me rapproche de tout ce que j’aime. Mais la photo va toujours êtes là pour moi. La gratitude que je reçois au travers de tout ça est extraordinaire.

Il y a rien qui va m’enlever ça aujourd’hui.

* National Geographic - Daily Dozen du 27 décembre 2013
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Mathieu Gagnon

Mathieu Gagnon

Originaire de Val-d'Or et ayant habité Montréal pendant plus de 7 ans, il réside maintenant à Rouyn-Noranda. Mathieu est un créatif technologique, passionné de littérature axée société et individu.
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