La 117 est une grande faucheuse, ce n’est pas nouveau. Dangereuse, elle a guidé beaucoup trop de gens vers la mort. Juste à regarder les croix tout le long du faussé, on dirait que l’cric est un long cimetière sans fin. Ici, on arrive à voir les sorties de route l’hiver. L’été, c’est les traces noires, signe d’un freinage d’urgence, les derniers instants avant un impact fatal.
Une route risquée? Moi je dis une traîtresse, une meurtrière. La 117 n’a pas de cœur, juste de l’asphalte noire, d’un bout à l’autre. Elle prend qui elle veut quand elle veut, sans pitié. Mais au fond je ne suis pas en colère contre cette route, je m’indigne plutôt contre les gens égoïstes qui l’empruntent, les usagers.
Je ne sais pas combien de gens ont perdu la vie sur cette route. Je ne sais pas combien de personnes utilisent cette route. Ce que je sais, c’est que les statistiques ont sûrement raison. Il y a beaucoup trop d’accidents mortels. La vie c’est précieux. La tienne bien sûr, mais aussi celle des autres. T’auras beau être en vie, si ceux que t’aime sont morts, c’est moins intéressant.
Je sais qu’il faut en prendre quelques-uns à deux mains, pis les secouer un peu. Quand ta mère te dis « sois prudent sur la route » elle niaise pas, écoute-la. Une seule fausse manœuvre ou un manque de concentration et la vie change tragiquement, jamais pour le mieux. Jusqu’à preuve du contraire, personne n’est sorti plus en forme après un accident. Être prudent, ça veut aussi dire surveiller les autres, encore les autres, les caves sans génie, qui manquent de jugement et qui sont inconscients des risques.
Sur la route, il y en a qui sont pressés, question de vie ou de mort. Des familles en vacances, qui ont toute la vie devant eux. Du monde pas en état, chaud raide ou ben stone. Des vieux, qui profitent du moment présent, le dimanche après la messe. Des jeunes pilotes de rallye avec avec réflexes de course de feu. Du monde trop fatigué pour conduire, zigzaguant dans le chemin comme des âmes perdues, prêt à se suicider dans n’importe quel inconnu.
Aussitôt que les gens entrent dans leurs voitures, ils sont caves c’est une évidence. Même si on paie tous le même prix pour circuler sur la voie publique, on voudrait le chemin juste pour nous autres. On connait le danger, mais il fait pas peur. On a beau être du bon monde, sur la route c’est chacun pour soi en chauffant pour les autres.
J’aurais le goût de dire que cette route est une chienne. C’est vrai qu’elle est belle, par moment, mais elle est imprévisible. La 117 est une crisse de chienne que tu peux jamais truster. Comme un bâtard qui a peur. Elle grogne, montre les dents. Tu le vois dans ses yeux d’insécure.
On pense que cette route est un simple tronçon de l’Abitibi, mais elle peut te mener plus loin, plus haut que tu penses. Sans le savoir, la 117 peut être ton pire voyage ever sans jamais te rendre à la destination prévue. Highway to Hell 117. J’ai pas l’goût de demander à personne d’être prudent, juste d’être conscient c’est déjà pas mal. Si vous voulez vous casser la gueule, venez me voir.