Je me souviens du début

Je me souviens du début

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Illustration : Sam Deshaies

Je me souviens du début, quand j’étais anonyme. Je me souviens des promenades infinies dans les rues perpendiculaires où je tentais de me perdre en vain. Je me souviens m’être arrêtée devant chaque vitrine pour en observer le contenu avec fascination, convaincue d’avoir atterri sur l’Atlantide du Saint-Laurent.

Le matin, sur le quai du métro, je peinais à croire que tant de gens existent en même temps. Je les observais longuement, analysais leur figure, sculptais leur futur, modelais leurs inquiétudes et tentais de voler un peu de leurs particules de joie. J’inventais leurs vies.

Maintenant, Montréal m’aspire. Je manque d’air, même pollué. Je n’en peux plus de regarder l’horizon finir au prochain building. La foule m’étouffe et le bruit me hante. Je rêve la nuit de vertes forêts et de lacs immenses. Je pense le jour aux grands espaces et à la liberté.

Le matin, lorsque j’ouvre la porte de mon trois et demi, les -1000 degrés qu’il fait dehors ne suffisent pas à geler les angoisses qui s’entrechoquent sans arrêt dans mon crâne affaibli.

Ces temps-ci, je pense à l’avenir. Mon avenir m’apparaît comme une vision décomposée, des fragments de rêves éparpillés sans ordre, aucun. Des rêves sans forme ni contour qui s’avortent avant même de venir au monde. Je cherche, je creuse, je ne trouve jamais le fond, c’est l’infini qui s’ouvre à moi, qui s’étend, qui se perd, qui me perd, je me perds, tu comprends? L’avenir est une énigme plus grande que moi-même.

Je ne regarde plus les gens autour. Ils sont tous pareils dorénavant. Un homme joue du violon. Je me recouds le cœur au rythme de sa musique. J’aime encore Montréal pour la musique. Quand le métro arrive, les gens dans les wagons ondulent en une vague à la fois discrète et puissante, une courbe ronde, mais sèche. Le métro est souvent trop plein, parfois trop vide. Je trouve une place assise pour me réfugier dans un livre le plus rapidement possible et je m’y perds comme on se perd dans le bois. La nuit.

Je disparais dans cette histoire que je préfère à la mienne, me fonds dans les mots, m’impose dans les dialogues. Parfois, le métro s’arrête trop longtemps à une station. Il s’immobilise et son inertie nous inquiète, mais personne ne le laisse paraître. On ne dit rien, on ne se regarde même pas. L’étudiante branchée sur ses écouteurs continue de hocher la tête au rythme de sa musique. Le clochard poursuit sa quête de monnaie. Le gars pas pire cute accoté sur les portes fermées persiste à réussir son nouveau level de Candy Crush.

Dur combat.

Quand les passagers entrent dans le wagon, il m’arrive de rêver que le prince charmant vient s’asseoir à mes côtés et qu’il me déclare que je suis magnifique, qu’il me rêve 26 heures sur 24 depuis les 843 derniers jours. Cette âme sœur surgie de nulle part parviendrait à me faire oublier celui qui s’incruste dans mon esprit depuis trop longtemps, me condamnant à l’imaginer, à le penser à le dessiner sans arrêt en souhaitant qu’il se matérialise.

Ça n’arrive jamais, évidemment. Ni le prince, ni l’oubli, ni la matérialisation. Juste la folie.

***

J’ai décidé d’acheter une plante. J’ai visité tous les fleuristes de l’île pour trouver celle qui saurait combler mon manque de verdure, me redonner mon oxygène manquant, mon coin d’univers. Montréal sera moins laide, voire plus belle avec une plante. J’ai choisi une toute petite plante. Elle tient dans un contenant carré et fait de jolies fleurs jaunes. J’ai envie de sourire à tous ceux qui m’entourent, de leur montre ma plante, petite parcelle de vie qui se posera devant ma fenêtre et qui fleurira en même temps que moi, au printemps, quand mes peurs fondent avec la neige. Elle m’accompagne dans le métro où je la tiens à deux mains, comme je tiens ma vie quand je crains qu’elle ne me file entre les doigts.

Je ne l’ai pas vu entrer. Il était d’une beauté certaine, mais pas de celles qui sautent aux yeux, plutôt de celles qui demandent à être découvertes, étudiées, explorées. Il a dû me trouver weird avec mon sourire gratuit étampé dans le visage, ma joie de vivre surlignée au Hi-Liter jaune flash. Il a dit : « C’est une belle plante. » et j’ai approuvé.

Je me souviens du début, mais pas de la fin.

Gabrielle Izaguirré-Falardeau

Gabrielle Izaguirré-Falardeau

Gabrielle a vécu à Rouyn-Noranda 15 ans de sa courte longue vie. Depuis août 2017, elle a publié un premier livre aux Éditions de Mortagne et étudie à l'École nationale de la chanson de Granby où elle écrit des tounes, s'ennuie de son chat et cherche le sens de la vie.
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