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J’ai retenu la porte, mon fils est passé avec sa poche de hockey. On est entré face à face avec la Zamboni. Il a tourné à droite pour la chambre des joueurs, la machine à gauche juste devant la baie vitrée. J’ai relâché la porte, pris une gorgée de mon extra large deux crèmes, un sucre. Le moment était parfait pour lui souligner ma fierté de le voir invité au camp du Pee-Wee AA. Une phrase est sortie d’elle-même.

C’est sérieux maintenant le gros, agressif!

J’ai rapidement fait de remarquer Buck la Pieuvre sur son perchoir. Ce n’aurait pas été mon premier choix de surnom. Par contre, ça avait le mérite d’être clair et bien imagé. Il m’a fait signe d’aller là-haut le rejoindre dans son repère, la section rouge. J’ai fait un signe de tête respectueux. J’allais prendre tout mon temps, me la jouer style nouveau Shérif, en saluant tout le monde en chemin.

Si je devais donner un seul conseil au prochain bénévole fraîchement débarqué dans ce monde parallèle, le hockey mineur. C’est de toujours demeurer calme et de ne faire confiance à personne dans un aréna.

Les gars de la ville ramassaient la neige sur la surface glacée lorsque je suis arrivé près de Buck. La règle protocolaire est de garder un banc de distance lors d’un meeting officiel dans ces lieux. Il y en aurait deux entre nous tout le long de l’entretien.

Un moment passa, moi et l’octopode ne nous étions toujours pas regardés. Épiant la faune, tels des snipers perchés dans la section rouge. Section surplombant les 4 points stratégiques de l’Aréna. De zéro à 180 degrés.

On débute par les portes d’entrée, le restaurant, la sortie des chambres et finalement le bureau du hockey mineur. Buck contrôlait le hockey double lettre de ses ventouses depuis 42 ans. Les bases du temple. Le temple de sa renommée locale. Il avait toujours tout manipulé dans l’ombre. Il était un tireur de ficelle professionnel, la main dans chacune des marionnettes. Personne ne pouvait aspirer à entraîner, jouer ou même remplir une gourde pour l’organisation élite sans sa bénédiction.

Les Titans c’était lui.

Voilà donc l’arrivée d’un étrange téméraire osant proposer sur papier de lui trancher les tentacules. Le drame survient lors du dernier conseil d’administration du hockey mineur. Une réunion houleuse où l’on vota à la surprise générale pour une modification du règlement et l’abolition du poste de conseiller spécial de Buck. Le nouveau président, un certain directeur de la minière Gold Direction, avait fait campagne pour se couper du passé, un passé entaché d’irrégularité selon ses dires.

La stratégie médias sociaux avait fonctionné à merveille.  Sur le site du Hockey mineur, annonçant cette restructuration, les partisans du changement commentaient sur la collusion entre La Pieuvre, le groupe d’entraîneurs des Titans et les entreprises locales. Des témoignages de toutes sortes, frustrations de parents de joueurs ignorés par l’élite pendant trop longtemps. Le peu de défenseurs de Buck fut rapidement supprimés ou submergés de vacheries retombant sur leurs auteurs. Au final, Buck perdait ainsi le contrôle direct sur les alignements et la gestion de son seul enfant, les Titans.

Sur Facebook, le groupe Buckdown célébrait sa victoire. Les journalistes traditionnels suivaient la parade pas trop loin derrière. Un montage photo résumait bien le moment : un courageux héros déboulonnant le socle d’une immense statue d’une pieuvre en bronze photoshopée devant l’aréna. J’étais ce héros.
Il se tourna vers moi le premier. Sa main pointait les bannières accrochées au plafond de l’aréna. Il n’arrivait plus à retenir les tremblements provoqués par la colère.

On raconte toute sorte de conneries sur moi. Tu sais que c’est faux. Je n’ai jamais fait une cenne avec le Hockey. J’ai toujours été là pour le sport avant tout. La communauté supportait les Titans, car nous étions comme une famille. Peu importe les revenus des parents du kid, si tu avais le potentiel on t’acceptait. Combien ont eu une carrière pro grâce au Titans? Mais ça, je sais que ça ne plaisait pas à tous. J’en ai refusé en sacrament des chèques de gars comme toi. Quarante-deux ans à les surveiller et à défendre cette organisation. Là, je suis vieux, fatigué et toi tu arrives de ton bureau de Montréal, Monsieur l’ingénieur en chef, backé par ton esti de minière. Tu voulais me tasser, c’est fait. Tu veux quoi maintenant?

Je l’ai laissé reprendre son souffle en regardant mon grand garçon sauter sur la patinoire. Après tout je suis un gentleman. Je ne souhaite surtout pas le voir crever dans les gradins lorsque je vais lui annoncer la mort de ses Titans et le remplacement de tout son personnel.

Vivement le changement et la naissance Des Pionniers. Structure élite parrainée par ma compagnie Gold Direction. Un bel uniforme bleu et or. Mon gars a déjà la lettre C de capitaine brodé sur son chandail à la maison.

Claude Boulianne

Claude Boulianne

Originaire de la Côte-Nord et ayant vécu à Montréal et Sherbrooke, Claude est maintenant un Abitibien d'adoption, père de deux bambins born & raised dans la région. Il pratique le droit à Rouyn-Noranda, aime les Cubs et selon nos sources il dort quand même bien.
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