Le Mobilier des Morts

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Une fois par mois, il y a une grosse pile de stock qui apparait sur la pelouse du St-Viateur. Une poignée de photographies de 1947 avec des inscriptions handwritten dans le dos, un appareil électroménager provenant d’une infopub des années 90, des DVD de Jerry Springer et des vinyles des Baronets*. Mais surtout, des meubles.

***

Avant, je ne pensais pas tant à la mort. À ce qui se passe après ma dernière puff de cigarette. Je suis quand même jeune alors naturellement au-dessus d’tout ça. Belle jeune fille avec tout ce qui faut à la bonne place. Un brin excentrique, un brin névrosée, bien assumée.

J’habite à côté d’une résidence pour personnes âgées. Le St-Viateur. Ils font pas des bagels sur wood-stoves, mais ils donnent une dignité à toutes les personnes âgées semi-autonomes ou juste sans famille, comme Rémi.

On ne choisit pas sa famille. La même chose peut être dite pour ses voisins.

Mais moé j’les aime ben eux autres, « les vieux ». Toujours prêts à t’payer une crème molle ou à t’donner du tip pour aller leur acheter un « grateux » au dépanneur. Ils me parlent comme si j’étais la fille qu’ils n’ont jamais eue ou encore la fille qu’ils ont mais qui va juste les voir le 24 décembre au soir. La même qui se colisse ben de savoir que ses parents vont mourir dans une chambre aux murs taupe avec leur Jello strawberry-kiwi et une « belle vue » sur le court de tennis à côté de l’aréna.

Trépasser…

C’est un mot qui me donne la frousse. Il essaye d’adoucir la mort. C’est une manière polie et raffinée de t’dire que tu vas retourner à la poussière même si tu suis les recommandations du Guide alimentaire canadien. Rajouter un velours sur ton dyabète de type 2 malgré tes douze portions de fruits et légumes par jour.

Avant, j’y pensais pas tant que ça mais depuis que j’ai déménagé dans mon nouvel appart, c’est récurrent. Une fois par mois, il y a une grosse pile de stock qui apparait sur la pelouse du centre.

Personne se pointe aux funérailles. Personne se pointe pour la pile de stock. Tout le monde se pointe pour l’héritage. Le cash. Le gros cash sale.

Moi, je me contente de prendre le mobilier. Dans ma tête, je fais honneur à leur mémoire et à leur vie. Monsieur Thériault a peut-être été conçu sur la chaise fleurie qui s’est fait domper sur le green du Viateur. Moi, je récupère. Je vis dans des mémoires hétéroclites et empruntées.

J’ai un esti de bel appartement.

S’il m’arrive de quoi un jour, que j’en voye pas un seul toucher à mes meubles, barnache! Sinon, j’va vous hanter pour toujours. Ma croix de Jésus qui chante une toune de Tom Jones quand tu pèses sul piton rouge : pas touche mes maudits vautours! Mon divan pourpre dans lequel tu t’endors comme dans un muffin : c’est NON ma gang de rats! Mon horloge grand-père avec un coucou mécanique restauré de l’époque : que j’te voye mon maudit flanc-mou!

Quand j’vais trépasser, tout va aller Aux Vieux Meubles. Là bas je l’sais que le « mobilier-mémoire » sera respecté et mis en valeur. Acheté par le consommateur qui apprécie tous les p’tits les détails, toutes les imperfections, toute la vulnérabilité d’un meuble. D’une personne.

Aujourd’hui, j’prends rien pour acquis. Je le sais que chaque photo que j’mets sur mon compte Instagram pourrait bien être la dernière. J’ai écrit cet article en écoutant « Hard Headed Women » de Wanda Jackson la Queen of Rock, reprise d’Elvis Presley le King.

Merci M. Guimont pour le vinyle.

* Les Baronets (1961-1972) est le nom de scène d'un célèbre trio, puis duo (1970) de chanteurs québécois des années 60, originaire de Montréal. René Angélil, quelqu'un?

Anonyme

Cette personne souhaite demeurer dans l'ombre.
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