Fish & Stout

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« 15 h à’ Twin Kiss ». Je l’ai rejoint là. Le barbu du pub irlandais voulant brasser une Stout à mon honneur.

Le junior bootlegger* était tombé sur ma binette, notifiée par l’application du journal local. Son téléphone avait fait ressortir mon parcours de Grand Bâtisseur. Il m’a parlé de son flash en apercevant la photo. Je cadrais parfaitement pour son projet du moment, le vintage du terroir.

Il me disait semi-célèbre dans le coin, pas comme les anciens pros de la LNH, mais juste en bas d’un cran. Une sorte d’artiste pas de patins.

Sur l’écran de son cellulaire, il y avait un vieux en costard trois pièces récipiendaire d’une breloque en forme de shaft de mine. J’arrivais presque à entendre ma femme se foutre de ma gueule, de mon look de Rotarien de New Liskeard. Moi et mon air penaud, venant à peine de se faire kicker au micro, face aux nouveaux cochambreurs de commerce de la région.

Le jeune souhaitait m’étiqueter la face sur des bouteilles, me baptiser d’un breuvage certifié local. Son deal était qu’il utiliserait mon nom et portrait. En contrepartie me ristournerait de la fierté.

J’étais, selon lui, une des dernières stars historiques encore debout sur le Wikipédia de la ville. De toute évidence, il appréciait pas mal plus que moi cet intermède-cornets au pied de la Murdoch.

J’attendais qu’il reprenne son souffle pour proposer à l’alchimiste hyperactif de choisir une autre icône plus vraie, moins blasée. J’avais des noms déjà en tête pour le trèflophile avec de majestueuses diapositives à projeter à sa génération.

Pour sa patente, je voyais bien : Bob Lemay, le vendeux de char. Proclamant haut et fort sa fierté d’avoir empêché pendant presque soixante ans, la vente de voitures asiatiques à l’ouest du parc.

Ou encore mieux, Reggie Bergeron, le propriétaire picoleur de l’équipe de hockey juvénile Noranda Kings. Celui qu’on surnommait amicalement Don Bergie qui avait, entre autres choses, forcé en 1971 la main de son headcoach pour sélectionner le fils du juge Dionne comme gardien backup, se sauvant brillamment d’un dossier criminel par la porte arrière de l’aréna.

Une des nombreuses demoiselles en liste serait : Miss Solange Brady et son festival british sur la 8e Rue. La fonderie commanditait le Big Ben en cuivre, le thé et les biscottes. Offrandes qu’elle servait en anglais aux familles de travailleurs. Toujours accompagnée d’un Lord de Toronto remettant des macarons avec le logo de la compagnie au moins de dix ans.

L’ancien maire, Réal Bédard, certainement un candidat sérieux au poste. Sa haine viscérale de la métropole lui avait fait dézoner deux-trois plans de franchises montréalaises. Question de ne pas voir quelqu’un de la grande ville venir faire le trouble icitte. Respectant à la lettre son machiavélique slogan d’investiture au conseil municipal : « Avec mon Réal, plus besoin de Montréal! »

Des personnages inspirants, défenseurs bornés, à la limite malfaisants. Des pionniers fanatiques se gonflant le torse à s’en disloquer les côtes, les dents acérées, prêts à déchiqueter le premier malheureux écorchant leur Abitibi-Témiscaminque.

J’avoue avoir presque souri en recevant quelques mois plus tard une caisse de Stout. Sur la bouteille, l’image d’une bunch de poissons en habits-cravate, j’ai reconnu les traits de plusieurs avant de me retrouver le chapeau et la moustache. Le gamin avait tout compris, restait maintenant qu’à se verser une pinte de cette Piranhas Boréals.

*Bootlegger est un terme américain qui signifie « l’homme qui cache une bouteille dans sa botte » et désigne un contrebandier d'alcool.
Claude Boulianne

Claude Boulianne

Originaire de la Côte-Nord et ayant vécu à Montréal et Sherbrooke, Claude est maintenant un Abitibien d'adoption, père de deux bambins born & raised dans la région. Il pratique le droit à Rouyn-Noranda, aime les Cubs et selon nos sources il dort quand même bien.
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