On est aux frontières de l’été. L’école est sur le bord de finir, le soleil se couche plus tard et on a la permission de sortir le soir dans l’quartier, même quand y a de l’école le lendemain. Oui, monsieur!
1992 – Mes parents, en revenant d’un rare voyage, m’ont rapporté des p’tites vignettes : Platini, Papin, Cantona… des joueurs de l’équipe de France. Ça vient des paquets de Vache qui rit. Rien de glorieux, mais j’trouve ça pas mal cool, parce que personne à ça ici. Les Bleus, ça reste un d’mes premiers contacts avec le foot, le vrai.
Par un beau dimanche après-midi, on joue au soccer dans’ cours du dep. À grand coup d’top nets dans un vieux but d’hockey défraichi, le long du mur de crépis. La p’tite balloune a de la misère – t’sais le genre de ballon qui sent bon le plastique parfumé. Ça pogne dans l’vent, ça fly tout croche, mais ça fait surtout moins mal quand tu l’reçois dans’ face. Quand tu bottes dedans, ça fait un beau « ping! ». De temps en temps, on en place un qui fait lever un peu l’net. Moi j’suis la France, lui l’Angleterre. La game se finit aux tirs au but. J’gagne la Coupe du monde, en m’roulant dans’ pelouse devant une foule imaginaire en délire…
C’est un d’mes amis qui habite le dépanneur du coin. En fait, il reste dans l’appartement adjacent, pas dedans l’dep. Bref, ses parents runnent la place. C’est justement son père qui vient interrompre mes célébrations pour lui dire de rentrer souper : « OK, qu’est-ce qu’on mange? »
Dans l’temps de l’dire, j’étais rendu chez nous. Un-deux-trois, j’engloutis mon pâté chinois ou mon steak haché-riz-sauce à spag’ et on se rappelle pour planifier la soirée :
– On a reçu la cassette d’Où est Charlie?. Ça t’tente-tu d’essayer ça? Joe va être là aussi.
Ça, c’est un des avantages d’avoir un ami avec un dépanneur. On peut toujours aller louer des films ou des jeux, même en dehors des heures d’ouverture. On essaye toujours les nouveautés avant tout l’monde.
– Charlie au Nin!? Cool, j’arrive!
Sur ce, j’salue mes parents en vitesse et j’enfourche mon BMX rouge. J’détale le long d’la place Tourigny jusqu’au boulevard Québec. Le dep est juste de l’autre côté. J’sais pas pourquoi, mais j’ai soudainement envie de stepper en bas du trottoir avant de m’engager pour traverser. C’est là que j’réalise qu’y a déjà un char dans’ voie, à ma gauche.
J’remarque que mon bike a monté la côte sans moi, une bonne vingtaine de pieds plus hauts (selon mon œil de p’tit gars de 10 ans qui vient de s’faire lutter). Le guidon a l’air tout croche. Sur le coup de l’adrénaline, j’me lève pis j’traverse le boulevard à’ grand-course. Une fois en lieu sûr, assis dans’ pelouse – le long d’la bordure de l’accotement – j’me pisse les joggings. Aweye, direct dans mes culottes. J’capote, j’viens d’me faire frapper par un char!
Un témoin se dépêche d’aller avertir le monsieur du dépanneur (le père de mon ami) : « Hey, y a un p’tit gars qui s’est fait frapper! » Curieux, mes amis sortent dehors pour voir la scène. J’les vois sortir sur la galerie, l’air étourdit : « Ayoye, c’est David! »
Tout s’passe de façon relativement confuse, mais les nouvelles vont vite dans l’quartier. Mon père arrive en courant, ma mère suit pas loin derrière – je l’ai pas vu courir souvent ma mère asthmatique. Les deux sont là avec moi. Ils me disent que c’est pas grave si j’ai pissé dans mes culottes; que c’est pas grave si mon bike a l’air scrap; que l’important, c’est que l’ambulance s’en vient et qu’ils vont s’occuper de moi. Minute, là! L’ambulance!? J’capote encore plus. Ma mère reste avec moi, pendant que mon père va piquer une jasette avec Monsieur Chrysler. Un bonhomme à lunettes, soixantaine, en bottes à cap, l’air un peu perdu – remarque que ça s’comprend vu la situation.
L’ambulance arrive sur les flashes. C’est drôle, mais jusqu’au moment où ça t’arrive, t’as hâte au jour où tu vas avoir le droit de faire une ride. Pas quand c’est toi le blessé, là c’est moins cool. Ils sortent la board, me strappent de la tête au pied – « ils peuvent pas prendre de chance » que ma mère me dit. J’embarque sur la civière. On part pour l’hôpital avec un petit coup de sirène.
En route, ils commencent à découper mon linge pour voir si j’ai pas d’autres blessures, mais surtout pour pas avoir à me passer mon chandail par-dessus la tête une fois rendu à l’urgence. « Ah non, mon gilet préféré! » Un crewneck style rip-off Vuarnet turquoise avec du lettrage en dégradé fluo. De quoi de hot pour l’époque; non, c’était pas un Au Coton. J’me demande même si c’est pas mes parents qui me l’ont ramené de voyage, ça aussi.
Bref, encore là, ma mère essaie d’me rassurer que c’est pour mon bien s’ils passent les ciseaux dans mon gilet préf. Mes joggings, je m’en fous; de toute façon sont plein d’pisse. J’ai la cheville grosse comme un ballon de football – celui avec lequel ils jouent avec les mains. J’panique un peu à l’idée d’avoir la tête attachée, quand c’est à la jambe que j’ai mal; j’ai un doigt écorché aussi. L’ampleur des dégâts reste minime, vu les circonstances. « Y prennent pas d’chance. » De toute évidence, c’est moi qui en a pris une en voulant stepper le trottoir.
Quelques radiographies plus tard, rien de cassé. J’ai été chanceux dans ma bad luck – à part pour mon bike tout croche, mon orgueil amoché pis mon beau coton ouaté coupé. En fin de compte, j’ai juste manqué une journée d’école et marché sur des béquilles quelques jours. L’affaire d’une semaine, même pas.
Ah, pis le jeu d’Où est Charlie?, c’est plate en criss finalement! Pis son vrai nom, ça l’air que c’est Waldo…
– On r’tourne-tu jouer au soccer à’ place?