Naufragée

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Illustration : Mathieu Gagnon

Je suis sortie de ton lit comme un ninja pour ne pas te réveiller. Tourne-toi vers le mur. Attends. Mille et un, mille et deux, mille et trois. Tasse doucement la couverte vers lui. Désabrille-le pas. Ok. C’est le moment. Lève-toi tran-quil-le-ment. Reste debout à côté du lit. Retiens ton souffle. Regarde-le une dernière fois.

Une goutte de sueur qui me coule entre les deux seins.

J’ai enfilé en vitesse mes jeans et mon coton ouaté du FME que j’avais laissés dans la salle de bain avant d’aller faire semblant de dormir. Les évasions réussies sont celles qui se planifient, non?

Mes souliers dans la main droite, j’ai ouvert la porte qui donne sur la cour arrière et sur des années de souvenirs doux-amers. J’ai descendu la petite pente derrière la maison, celle qui mène au lac. Debout sur le quai de fortune, j’ai figé un instant, prise dans un brouillard opaque. Qu’est-ce que t’es en train de faire, maudite folle? Il va se réveiller. Il va capoter quand il va réaliser que t’es plus dans la maison. Niaise pas, remonte pis va te coucher. J’ai mis un pied dans le canot que mon père m’a offert l’an dernier pour mes quarante ans. « Celui des grandes traversées » qu’il m’a dit. Remonte. J’ai déroulé la corde qui l’amarrait au quai et j’ai regardé la maison derrière mon épaule. Celle que j’ai tant désirée. Remonte. J’ai donné mon premier coup de rames avec autant d’ardeur que si on m’avait mis un gun sur la tempe.

Me voilà au milieu de l’océan Osisko. J’ai besoin de mettre de l’espace entre toi et moi, de me sentir dans les limbes quelques instants pour brailler ma vie sans domicile fixe. Les lumières de la ville sont plus douces dans la noirceur.

Il y a longtemps que je ne me sens plus femme, que je me suis perdue.

Le quotidien, les obligations et tes attentes auront usé mon diamant brut jusqu’à ce qu’il ne reste de moi que des poussières éparpillées dans la salle de lavage, mon lit froid et mes sous-vêtements dépareillés. Je suis ton bien acquis.

Je sais que t’as l’impression que je serai là, tout le temps, immuable. Mais je me lève ces jours-ci avec le goût de tout crisser là, de me pousser dans la grande ville. Me perdre dans la masse et danser jusqu’au matin la main dans les cheveux et les hanches au vent. Mettre des dessous noirs en dentelle et me trouver désirable dans les yeux d’un ou d’une ou de plusieurs ou tout en même temps. Baiser sans les lendemains petit-déjeuner extra bacon sec. Faute de faune dans ce patelin qui m’a vu naître, j’ai troqué le béton pour une flaque d’eau.

T’es ce que j’ai toujours voulu. C’est ça l’pire. Je t’ai tellement désiré, mon grand amour. Cherché dans les regards complices d’une relation à naître ou dans les one night qu’on a envie de conjuguer au pluriel. Je me disais qu’à deux, on est plus fort. Qu’on pourrait s’aider à grandir mutuellement, à devenir l’un et l’autre de meilleurs humains. Mais c’est pas ça qui se passe. En tout cas pour moi, c’est pas ça. Je suis juste meilleure pour éteindre les feux, les miens surtout, et plier devant tes millions de désirs jamais assouvis. Tu me tues un jour à la fois avec tes exigences, tes crises, ta jalousie quand je ne t’appartiens pas à cent pourcent dans le moment où t’as besoin de moi. Je peux pas te dire ça mais ces jours-ci, tu me donnes le goût de faire un U-turn vers mes années d’insouciance.

Me voilà entre ciel et fond de lac pollué à écouter en écho ma détresse d’écorchée vive. C’est moins gênant de le faire toute seule que devant toi qui ne comprends pas de toute façon. Comment le pourrais-tu?

Mes doigts qui effleurent l’eau me donnent envie de m’y glisser comme on caresse le satin des draps que l’on ne peut pas se permettre.

Je ne sais pas nager. Mais qu’est-ce que je fous là? As-tu froid, seul, dans le lit qu’on partage souvent? Quand tu rêves à moi, souris-tu? L’embarcation qui m’évite une mort certaine me donne le ton à chaque petite secousse. Ton anniversaire. Tes yeux bleus calmes de bord de mer. Ta main dans la mienne et mon visage dans ton cou. Tes fous rires devant mes imitations plutôt poches de Gargamel.

Je suis là mon bonhomme. Maman revient à la maison.

Catherine Perreault

Catherine Perreault

Originaire de Rouyn-Noranda, Catherine enseigne à de jeunes supers-héros. Elle a une relation d'amour-haine avec les réseaux sociaux, l'inspiration et l'autisme de son fils. Elle caresse le rêve jusqu'à maintenant secret de publier un livre.
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