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Le Péril du Chasseur

Le Péril du Chasseur

Bruce Gervais vous présente

- Épisode 7 du Feuilleton : "Ciel ouvert" -

7
L'épisode où la Cri-Volution commence.

Un cinéaste aurait voulu filmer ça. C’est une affaire de lumière. Une question d’intensité, de couleur et, surtout, de ce que décide le moment, dans la mesure où on le laisserait décider de quelque chose. De carrefour où l’impondérable dérouté s’allonge, réduit au destin, le moment a choisi de devenir, en fait, de s’inventer, le samedi 2 juin 2007, une volonté.

Les cinéastes savent cela : il y a, dans la boréalie des Anishnabés et des Cris, cette lumière naturelle de 7 heures le soir qui ne se peut pas ailleurs.

Or, s’il ne s’est trouvé aucun artiste de la photo ou du film pour bouffer cru le moment qui s’inventa de ces tons de bourgogne et de roux, de leur noyade dans une mer méchante vert épinette, il s’en trouva tout de même pour le voir passer, pour le voir étinceler : Ray Marcoux, filant bruyamment sur le highway gris charbon, dans sa Delta 88 velour-motel. Il s’en trouva même quelques heureux pour s’en agrandir les yeux et dire que dans le spectre si particulier de ce soleil tombant, le roux de son bouc, de ses cheveux frisés et du velu de ses gros avant-bras, donnât à Ray Marcoux l’aspect d’un démon rugissant.

Pour moi, ça c’est toujours résumé ainsi : à presque 100 miles à l’heure, une main sur le volant et l’autre balançant en bas du cadre de sa fenêtre grande ouverte, Ray Marcoux flyait littéralement, le nez plein de miracles colombiens, vers la Copper Queen et ses longues cheminées comme deux grands doigts jaunies.

Ray regardait les nouvelles locales.

Ray appelait parfois aussi pour enregistrer sa réponse à la question du jour. La veille, Ray avait répondu NON à la question : Croyez-vous que la Banque Loyale Canadienne devrait placer des agents armés à l’extérieur de ses succursales?

Sachant que depuis trois semaines, des graffitis toujours plus morbides – de petits hommes en habit bleu empalés sur le pointu des bijoux d’une couronne, un homme en habit bleu suffoquant, les lèvres jointes et les paupières scellées par des soudures dorées et d’autres encore – y étaient tracés sans que jamais on ne retrouve le ou la mystérieuse K K , Ray se disait que la belle grande louve, à faisait ben ça.

Ray avait de la perspective. Ray avait aussi des remords.

Lorsque, plein gaz, il quitta Val-d’Or en serrant son pompeux sous le siège du mort, ses yeux tournés vers la route pour garder le cap, il ne vit pas dans le rétro que derrière, sur la grande banquette rouge vin, était assise bien droite Kermesse King.

Il ne le savait pas davantage au moment ou il fabriqua lui-même un peu de sa légende, aidé par la lumière boréale de 7 heures du soir, pas très loin de Cadillac.

«Un démon rugissant», répéta-t-on.

Pour moi qui ne l’ai pas vu, ce combo de roux et de bourgogne et qui n’ai pas vu non plus le Moment choisir enfin ses couleurs, ce fut tout autrement.

J’avais vu en face une femme animale. J’avais en tableau une proie culottée.

«A voyageait su’l bras! All in, asti!» m’a dit, beaucoup plus tard, Claude King.

**

En arrivant au centre-ville du Cuivre , Raymond Marcoux s’est stationné sur la Dallaire, pas loin du Forum et de l’aréna à Peanut. Il est entré au Respect-A-Boules. Kermesse a sorti la bombe et l’a laissée sur le siège.

La 303 British, c’est de la belle carabine. Elle l’a cachée (!) dans ses chaps qu’elle portait larges et attachés à deux endroits, à ses TRÈS longues jambes laissées nues à partir des lignes d’un short moulant le haut de ses cuisses comme la peau moule les muscles.

Elle a ensuite marché lentement, ne laissant rien paraître de la jambe qu’elle devait garder bien droite pour ne pas compromettre la carabine. Elle a descendu la pente et avant de ne plus voir la grande voiture carrée de Marcoux et pour s’assurer de ne rien faire exploser d’autres, elle a commencé par balayer les environs du regard.

Personne.

«Bourgogne, c’est pas beau»

Boom.