La tumeur abitibienne

La tumeur abitibienne

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Illustration : Mathieu Gagnon

Je travaille pour Mines-Québec, opérateur de machinerie lourde depuis 24 ans, on m’a assigné un emploi un peu spécial.  Je suis sur une équipe de démolition supervisée par le ministère. Depuis bientôt 10 mois, je détruis des maisons de 8 à 4 dans l’immense secteur Nord-ouest, à 600 kilomètres de la civilisation. Ce secteur s’appelait autrefois Rouyn-Noranda et là nous sommes rendu à la hauteur du Lac Dufour ou plutôt Dufault ?  De toute façon ce n’est maintenant qu’un point GPS sur notre plan de travail. 

Il y a bien longtemps que plus personne de sain d’esprit n’habite par ici. Plus d’électricité, plus de services essentiels voire plus de réseaux internet. Plus d’habitants, c’est du moins ce que nous disaient les formateurs du MQ vivant dans leur belle réalité de gars de bureau.

Ce jour-là s’annonçait pourtant aussi ennuyeux que les autres. Je suis sortie de ma roulotte de chantier avec mon thermos et ma boîte à lunch. Je suis embarqué dans le camion lettré MQ-1975  et me suis dirigé vers la guérite à la barrière du pont.  Chaque matin, c’était la même chose.  Le gars de la sécurité me saluait, m’identifiait et ouvrait la barrière. La rivière Kinojévis était le point de départ d’une journée typique.

C’était mon premier mandat à l’extérieur de la couronne de la métropole. Les offres d’emploi pour le nord étaient pas mal plus payantes après la nationalisation de centaines d’entreprises minières. Une belle promesse réalisée par mon Parti Métropolitain.

Comme membre en règle du parti, j’ai toujours trouvé que l’élection du Parti Métropolitain avait été la meilleure des choses. Après la faillite de notre belle province due à la corruption des uns, le rêve communiste des autres, nous avions finalement obtenu notre Pays. La vérité ?

Les Canadiens ont fini par nous mettre à la porte, crisser nos valises de victimes sur le perron, renvoyer les grenouilles socialistes dans leur mare.

C’était à ma connaissance la première fois dans l’histoire politique moderne qu’un pays délaissait volontairement un territoire. Voilà, notre pimp ne voyait plus en nous aucun potentiel de séduction.

Le Québec nouvellement petit souverain, se retrouva bientôt à genoux devant les agences de crédits. Il fallait proposer promptement des solutions radicales. Le Parti Métropolitain allait nous remettre sur les rails, faire de la métropole l’unique locomotive.  Que Montréal soit louée, la nouvelle capitale du pays vota la fermeture des régions par référendum populaire. La victoire fut à la fois logique et écrasante. La Côte-Nord, la Gaspésie, l’Abitibi et autres régions parasites allaient toutes recevoir un échéancier de relocalisation, programme de dédommagement et avis d’expropriation. Le gouvernement, en bon père de famille, nationalisa au passage chacune des ressources premières; on créa ainsi des parcs de travail gouvernemental. Les nombreux employés allaient et venaient sans réellement y habiter. Selon moi, le bon Parti Métropolitain ou le PM comme on le surnomme, avait ainsi sauvé les fondations du brasier.

Dix-sept kilomètres plus tard, je retrouvais ma pelle mécanique stationnée dans une petite rue située sur le bord du lac. La journée s’annonçait grise mais sans pluie selon le bulletin de Météo-Québec.

La pluie, c’était une véritable plaie pour nous opérateurs de pelles, ces jours-là on prenait un retard terrible à cause de la visibilité réduite. Retard qu’on devait reprendre le soir à nos frais bien sûr. J’ai stationné mon truck dans la cour d’une ancienne maison de briques rasée la veille. Je me suis dirigé vers la maison beige à sa droite. Ma cigarette presque terminée, j’ai salué  le vieux Paulo descendant lentement de son camion, cinq maisons plus loin. J’ai écrasé mon mégot sous mes bottes à capes, sorti mon pistolet et défonça d’un coup de pied la porte rouge.

Notre directeur de programme ne rigolait jamais sur le protocole. Il fallait vérifier chaque pièce de la maison minutieusement, sécuriser l’espace de travail avant la destruction. Au moindre signe de danger, il fallait utiliser notre radio et contacter l’équipe de nettoyage. N’utiliser notre arme que pour se défendre d’une menace certaine. Se retirer en sécurité et attendre. Attendre en retrait dans un endroit sécuritaire l’équipe de nettoyage de Gary et ses hommes de ménage. La plupart du temps on parlait de chats errants, d’animaux sauvages pris au piège par leur curiosité.  Mais selon les récits de certaines grandes gueules, des gars seraient déjà tombé sur de la vraie saloperie. Les racontars parlaient de braconniers ontariens, de désaxés avec des problèmes de santé mentale ou d’anciens miliciens fanatiques du Front Régions Libre. Je dis bien anciens, car il y a un bail que ces pauvres illuminés s’étaient rendu aux autorités et croupissaient à l’ombre.

Personnellement je n’avais jamais rencontré mieux qu’une chauve-souris et autres petites bestioles. Mon cours obligatoire d’utilisation d’arme et de formation semi-militaire ne m’avait pas encore été bien utile je dois l’avouer. Les maisons étaient pour l’essentiel vides. Le programme de transition prévoyait en effet le transport de tous les meubles gratuitement dans les nouvelles demeures choisies ou attitrées par le gouvernement. La trop grande générosité des allocations du PM avec ces populaces éloignées était ma note la plus faible accordée au bulletin de mon parti.

J’étais à peine remonté du sous-sol lorsque j’aperçus par la porte-patio ouverte une chaloupe en aluminium sur le bord du Lac. Un homme transportait des bidons d’essence avec une carabine en bandoulière. J’ai décroché ma radio au même moment où je m’écroulais sur le bois franc devenu soudainement noir.  Je repris mes esprits, ligoté dans le fond d’une embarcation vibrante la tête près d’une boîte de plastique et d’une génératrice. Je distinguais encore mal les trois hommes à bord, l’un d’eux me prit par le bras pour m’asseoir sur le banc devant.

Le plus vieux des trois hommes dans la soixantaine, barbue avec une tuque noire arborant trois lettres; FME, m’adressa enfin la parole

-« Tu sais qui je suis monsieur le fonctionnaire ? »

Je le reconnu sur-le-champ, Richard Riel Lemay, le terroriste vedette. Mon ado avait même sa face de vieux sénile sur un t-shirt kaki.

Le Riel désaxé qui a fait sauter le pipeline principal d’Esker-Québec dans le nord. Sabotage lâche semant l’hystérie collective il y a 4 ou 5 ans, privant l’approvisionnement en eau de Montréal.

Celui qui a échappé à la plus grande chasse à l’homme du dernier siècle pour la destruction de plusieurs centrales et barrages. Celui qu’on espérait tous retrouver le cadavre grugé par le froid dans une mine désaffectée.

-«  Ouais et je croyais comme tout le monde que vous étiez mort comme votre chère Abitibi, monsieur le terroriste… »

L’homme sourit en pointant le devant de la chaloupe. Je me suis retourné au moment où le moteur ralentit, j’entendais maintenant des gens discuter. Je n’en croyais pas mes yeux… Des centaines de personnes s’affairaient sur les quais en bois, il y avait de nombreuses embarcations amarrées, des campements et des panneaux solaires sur chacune des constructions.

Le vieil homme me sourit et s’avança vers moi avec un sac de jute dans les mains. Il me recouvrit la tête avant de me chuchoter à l’oreille :

-« L’Abitibi morte ? Ah oui ? Si vous le dites monsieur le montréalais ? ».

Claude Boulianne

Claude Boulianne

Originaire de la Côte-Nord et ayant vécu à Montréal et Sherbrooke, Claude est maintenant un Abitibien d'adoption, père de deux bambins born & raised dans la région. Il pratique le droit à Rouyn-Noranda, aime les Cubs et selon nos sources il dort quand même bien.
La tumeur abitibienne

Nulle part c’est chez moi

La tumeur abitibienne

Résine de toi

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